Librairie Siloë Liège

facebookmail3phone

par Malys de Kerangal
9782070144136-reparer-les-vivants
Réparer les vivants est bien « le roman » d’une transplantation cardiaque et ce roman est bellement réussi, comme le traduit très bien le descriptif au dos du livre.
Pour ma part, j’ai mis du temps à réaliser l’autre possible du livre, moins romancé.
Le titre- même m’a laissé en suspens malgré la lecture, jusqu’à ce que je me souvienne de la prière de Miséricorde.. »Père éternel, reçois le corps et le sang, l’âme et la divinité de ton fils bien aimé, Jésus-Christ, notre Seigneur, en réparation de tous nos péchés et de ceux du monde entier »
Il n’y aurait pas d’histoire si Simon n’était pas parti de nuit surfer dans le fracas des vagues mousseuses, froides et nocturnes, « une nuit sans étoiles, alors qu’il gelait à pierre fendre »
Il n’y aurait pas » d’histoire » si ce jeune homme et ses copains n’étaient pas en recherche de sensations sublimes ou de jeux avec les limites..
Alors , en cascade, son seul accident alerte de nombreuses personnes cachées dans l’anonymat du monde, partout, dans leur chambre de malades, dans les familles, dans les hôpitaux, dans les airs et sur les routes, au bout des lignes téléphoniques ou des techniques de pointe. D’autres se mettent en danger pour réaliser l’exploit : pas de sommeil, pas de repos, pas d’écoute de l’autre ni de regard compatissant ,pas de droit à l’erreur,  se frayer des passages à toute allure dans la circulation, des vols d’avions ou d’hélicoptères par tous les temps, des familles en éclats par les alarmes qui sonnent, des familles en suspens, en survie, en attente du miracle..
A partir de Simon, une pyramide au pied large, international, se construit dans la même foulée, un énorme dérangement sourd, une industrie lourde tournant à plein régime, et le poids de l’argent en même temps. Les industries sont en passe de transplanter des cœurs –machines..
La quête de la tension extrême et l’accident éveillent d’autres êtres tendus autour de l’extrême, les puristes, d’une efficacité extraordinaire, tous dans leur genre, maîtrisant la corde raide du « ça passe ou ça casse », jouissance individuelle ? preuve de l’amour de la vie ? de la mort ? une vraie rage.. ?
La répétition des gestes presque automatisés suivant les vagues et les rythmes d’une symphonie extraordinairement composée jusqu’à la dernière note, après laquelle la pression peut retomber lentement..
Cette quête de l’extraordinaire est- ce de l’addiction, devenu un besoin pour dépasser l’ordinaire, pour fuir notre condition humaine ? Nous connaissons le terme de « workalcoolism », addiction au travail, dépendances multiples plus ou moins révélées. La quête des extrêmes a toujours posé question.
La question posée aux parents de Simon, au moment de la demande de dons d’organes « Simon est-il généreux ? »…les parents ont hésité un long instant avant de décider qu’il le serait et qu’il l’était..
Cette fracture dans la narration, cette pause , enfin, dans le texte amenant presque à l’apnée parfois,  a éveillé en moi à nouveau la question « réparer les vivants » ?
Ce livre démontre, peut-être sans l’avoir voulu, notre ambiguïté en rapport au quotidien de la vie et de la mort...
Qui ou quoi faut- il réparer ? Nous ? tous autant que nous sommes ? assoiffés de tensions, d’états limites, d’histoires magiques, voulant démontrer son pouvoir ? allant de velléité en velléité ?
Est-ce aujourd’hui si difficile d’accepter les choses comme elles sont parfois, de célébrer  l’ordinaire ,  et d’aimer la vie et la mort qui nous sont offertes en pleine conscience , et responsables de cet « ordinaire » ?
Quel aurait été l’autre roman, si Simon était mort et tout aussi honnêtement enterré ?  ce roman - là n’existe plus ? ou ne peut-on plus exister sans être taxés d’égoïstes ? Il faut que le mort serve encore ? il faut que les corps servent ?
Ce roman pour moi a donc cette facette grave aussi à mettre au jour, pour l’éducation des humains à responsabiliser, d’autant plus que les sciences et l’argent poussent à tous les dépassements. Ce chemin, mondialement utilisé, est-il celui de l’amour ?
Nos personnalités deviennent- elles toutes « limites » ?
Mauricette Scheyvaerts
Verticales, 2014 - 18.99 €

Réserver ce livre