Par Mick KITSON.
Ce roman raconte l'histoire de Sal, qui est d'ailleurs le titre du livre en anglais - un bien meilleur choix d'après moi. Sal, diminutif de Salmarina (sel de mer en espagnol) et sa sœur Paula ou plutôt Peppa, surnom qui lui vient de la couleur pimentée de ses cheveux. Sel et poivre en quelque sorte, toutes deux filles de Claire. L'aînée est née lorsque sa mère avait 16 ans. Son père est décédé et la seconde est née d'un père d'origine africaine dont on n'entendra plus parler. Le milieu est précarisé : habitat social, une mère qui se saoule et se drogue, un beau père qui vole des cartes de crédit, revend de la drogue et pire encore.
Sal a 13 ans, sa sœur en a bientôt 10 et les deux enfants vivent une enfance bien différente. La plus jeune pétille, travaille bien en classe, dévore les livres et vit une vie toute protégée par son aînée qu'elle admire sans réserve. Sal est secrète, pragmatique et extrêmement lucide par rapport au monde des adultes. Elle est scolarisée dans une classe spéciale sauf pour les cours de géographie et de maths qui l'intéressent vraiment. La classe spéciale, c'est quelques entretiens avec des éducateurs et beaucoup d'internet. Aux éducateurs, elle calcule ce qu'elle dit car ce qu'elle veut avant tout, c'est protéger sa sœur et ne pas en être séparée. Sur internet, elle visionne des quantités de vidéo sur la survie au cœur de la nature. Depuis des mois, elle monte sa fuite et en prévoit chaque détail.
"Le plus dur dans le fait de tuer Robert ça n'a pas été de le faire ou de le dire à Peppa que j'allais le faire, ça a été de lui avouer ce que Robert me faisait et qu'il avait prévu de lui faire bientôt. Quand je le lui ai raconté elle a dit "Tue-le Sal" et j'ai dit "ouais"." (page 60)
Sal va donc tuer le compagnon de sa mère, un soir de plus où il la rejoint dans sa chambre. Elle a tout, tout prévu : elle enferme sa mère pour ne pas qu'elle soit accusée du meurtre, remplit son sac à dos du matériel et d'un seul livre le manuel de survie des forces spéciales, réveille sa sœur. Elles enfilent des uniformes d'une "école de bourges", vident leurs téléphones, jettent batteries et piles dans une poubelle pour ne pas polluer le sol, enterrent le reste, prennent le premier train vers Glasgow, un bus qui les mènent au cœur de l’Écosse, là où le camping sauvage est autorisé. Carte à la main, elles atteignent une forêt repérée par Sal, bâtissent une hutte, se nourrissent de biscuits, raisins secs et du produit de la chasse et de la pêche. Le soir, Sal raconte une histoire qui l'a passionnée, de mémoire tandis que Peppa raconte avec ses mots le livre qu'elle est en train de lire - le résultat est savoureux. Un jour, c'est un énorme brochet qu'elles prennent. Il va mordre la main de Peppa qui va en être infectée. Survient alors le personnage d'Ingrid, ancienne hippie originaire de RDA, médecin qui à sa retraite a décidé de vivre dans la nature (personnage tout à fait crédible repéré dans un média britannique) qui va les emmener près de sa propre hutte. Ensemble, elles iront enlever Claire qui suit une cure de désintoxication. A Peppa, elle apprend l'allemand. Avec Sal, elle se confie.
Le scénario est remarquable : avec des allées et venues qui nous révèlent des éléments complémentaires à la situation des deux enfants. C'est aussi un auteur qui connaît bien les adolescents ; on sent qu'il parle "juste". L'affection des deux filles à l'égard de leur mère est touchante : malgré tout, elles l'aiment de tout leur cœur.
Ce livre nous parle de deux enfances différentes pourtant vécues côte à côte. Les questions des travailleurs sociaux qui sont déjouées par Sal portent à réflexion ; elle veut à tout prix éviter la séparation et en foyer, elles seraient séparées. Et surtout, il montre à quel point certains - souvent les aînés - enfants n'ont pas le temps d'être réellement enfant : ils suppléent d'instinct les manques des adultes, des parents. Ils portent un poids qui n'est pas de leur âge, par instinct de protection, par affection, par devoir. Et certains adultes confient même ce rôle, se reposent sur cette facilité.
Geneviève Iweins, septembre 2018.
Métailié, 2018 - 18,00 € - 11,99 € (Epub)